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PREFACE Table des planches

Statue de Charles III (au Musée de Peinture de Nancy)Au printemps dernier, M. Armand Guérinet, éditeur à Paris, faisait paraître un Album de cent planches en phototypie, consacré à la ville de Nancy. Les phototypies, sorties d'es presses de la Maison J. Royer, ont obtenu un vif succès qui était très légitime. Mais, comme beaucoup de monuments et de curiosités de notre cité n'y ont pu trouver place, M. Albert Bergeret, qui s'était chargé de ce premier volume, a eu l'heureuse idée de mettre au jour un second Album, de cent nouvelles planches, - complément des premières, - et c'est pour nous un grand plaisir que de présenter cet ouvrage au public nancéien et à ceux qui, en Lorraine et en France, aiment la belle ville de Nancy.

Le présent Album se divise en deux parties. Dix-neuf planches contiennent des reproductions d'anciennes estampes (1). Elles nous font connaître des œuvres de nos vieux graveurs et dessinateurs; elles font passer sous nos yeux des monuments qui n'existent plus ou dont l'aspect a été profondément modifié. Ici (pl. 15, fig. 1), nous trou- vons l'ancien Hôtel-de-Ville qui se dressait sur la place de la Ville-Neuve, devant l'église Saint-Sébastien, entre la rue des Quatre-Églises et la rue des Ponts. Les magistrats municipaux y ont tenu leurs séances, depuis le début du XVIIe siècle jusqu'au moment où Stanislas construisit à la place des hôtels de Gerbéviller et de Juvrécourt la superbe Maison de commune actuelle; les diverses juridictions de la Lorraine y ont rendu leurs sentences, avant que le roi de Pologne les transportât à l'hôtel Craon (notre Cour d'Appel). Voilà pourquoi, sur la façade, on lisait l'inscription: Themis hic oracula fundit. Mais quelle est cette pyramide qui masque en partie l'édifice et d'où s'élancent, par la bouche de dauphins, des jets de vin ? Jamais, en réalité, elle n'a été élevée; le peintre Deruet en avait tracé le plan pour le jour où ferait dans sa capitale sa rentrée solennelle le duc Charles IV qui, chassé par les Français depuis 1633, errait à travers l'Europe. Deruet mourut avant qMe ce beau jour n'eût lui, et Charles IV rentra, le 6 septembre 1663, par la brèche dans sa bonne ville, sans qu'elle eût le temps de faire des préparatifs pour le recevoir.

(1) Nous sommes heureux d'adresser ici nos sincères remerciements à M. LuciE'n Wiener pour le concours fort précieux qu'il a apporté à notré entreprise par les richesses de sa collection d'estampes et par ses bons conseils pour le choix des planches, Nous remercions aussi les gr!lveurs et éditeurs qui nous ont gracieusement permis de reproduire leurs œuvres contenues dans la première partie de cet ouvrage: le journal l'IllUstration,. MM. Thorelle, Guesdon, Chatelain, Georges, Maugendre et Pierre, dessinateurs, et MM, Chris- tophe, Dupuy, Haguenthal, Engelmann & Labouré, imprimeurs lithographes, ou leurs successeurs. -:- A, B.

Voici maintenant trois estampes du graveur de Stanislas, Dominique Collin. La première (pl.1) nous représente la place de la Carrière telle qu'elle était en l'année 1758. Déjà toutes les façades des maisons ont été refaites, sur un plan uniforme, aux frais du roi de Pologne; déjà vis-à-vis de l'hôtel de Craon a été bâtie, comme une copie fidèle, la Bourse (notre Tribunal de Commerce) ; et à ces deux édifices font pendant, du côté Nord, deux charmants pavillons dont l'un, celui de l'Ouest, a été donné par Stanislas à son architecte Héré par un cadeau vraiment royal. Déjà aussi la promenade est entourée d'une balustrade en pierre qui sert de piédestal aux vases et aux groupes d'enfants du sculpteur Schunken. Ces groupes font, sur la gravure, face à l'intérieur; la municipalité de 1831 leur fera faire demi-tour. Chaque côté est planté d'un rang de tilleuls, protégés par des caisses. En 1781, on les remplacera par une quadruple allée de tilleuls à larges feuilles, transplantés de Hollande. Au nord de la promenade, Schunken a placé deux grandes statues représentant des gladiateurs combattant, au sud deux sphinx à buste de femme. Plu$ tard, on transportera ici ,les belles grilles de Jean Lamour qui fermaient des deux côtés la rue des Ecuries ; et les statues, après avoir subi des vissicitudes de toutes sortes, décorent aujourd'hui la belle propriété du Petit-Sauvoy, à l'extrémité de la rue de l'École normale.

Les deux autres gravures de Collin (pl. 3), nous montrent deux des portes percées, au début du XVIIe siècle, dans les fortifications de la Ville-Neuve. Mais la porte Saint-Nicolas, vue du côté de la cité, n'a plus la physionomie simple et sévère qu'elle présentait & l'origine, sous le règne du duc Henri II. Au rez-de- chaussée, les fleurs de lys alternent avec les croix de Lorraine; à l'étage, le buste du roi de Pologne est placé sous son chiffre dans la niche centrale et dans les deux niches extérieures sont entrecroisées les deux lettres A et V. Enfin le sommet est couronné de vases et de groupes d'enfants semblables à ceux qui décorent la place Stanislas. La porte vient d'être restaurée dans le goût du XVIIIe siècle, en l'honneur des princesses Adélaïde et Victoire, filles de Louis XV, qui firent, le 4 juillet 1761, une pompeuse visite à la capitale de leur grand-père. Elles pénétrèrent dans la ville sous un arc de triomphe dressé devant la porte Saint~Stanislas et sortirent par la porte Saint-Nicolas pour se reposer à la Malgrange. C'est pour elles que Collin exécuta sa gravure. Les princesses revinrent l'année suivante, le 28 mai, et cette fois-ci passèrent sous la porte Saint-Jean, que le Magistrat fit réparer et graver à la hâte. On lui conserva davantage son ancien caractère. On laissa au-dessus de l'entrée les armoiries d'Elisée de Haraucourt, qui était gouverneur de Nancy à l'époque où furent achevés les remparts; l'on respecta le chiffre du duc Henri, enlacé dans celui de sa femme, Marguerite de Gonzague, ainsi que les armoiries pleines de Lorraine. Mais la porte Saint-Jean n'est plus à cette date qu'un vain ornement; les démolisseurs ont dû abattre, au retour de Léopold, les courtines auxquelles elle était rattachée.

Un fils de Dominique Collin, Yves-Dominique, imita l'exemple du père et se consacra à la gravure. C'est à lui qu'on doit la planche bien connue, représentant la petite foire Saint-Jean ou foire aux cerises (pl. 6, f. 1). Cette foire attirait au dernier siècle une foule de seigneurs, de bourgeois, de peuple qui s'entassaient dans des cabarets improvisés ou écoutaient les lamentables récits d'un chanteur de complaintes. Elle se tenait autour de la vieille tour de la Commanderie, le plus ancien monument de notre ville, puisqu'il remonte à l'époque du duc Mathieu 1er, au milieu du XIIe siècle. On a épargné heureusement ce vestige; mais, hélas! la vieille chapelle qui attenait à la tour et où étaient enterrés les gentils- hommes tués en 1552 au combat de Lupcourt, a été démolie sous nos yeux.

Claude-François Nicole fils était le contemporain et l'émule des Collin. Il est l'auteur de deux vues représentant les deux côtés de la place Royale, appelée aujourd'hui place Stanislas (pl. 2). Elles portent, sur quelques exemplaires, la date de 1754. La place, ce chef-d'œuvre de style classique auquel s'est ajoutée toute la grâce du XVlllc siècle, vient d'être terminée avec les deux belles fontaines de Guibal et les grilles de Jean Lamour. Au centre se dresse fièrement la statue de Louis XV (1) sur un piédestal que gardent quatre femmes, exécutées en plomb bronzé et représentant la Prudence, la Justice, la Valeur et la Clémence. La tête est tournée vers la France, et le bras droit tient le bâton de commandement, étendu menaçant vers l'Allemagne. Guibal et Cyflé se disputèrent la gloire d'avoir dessiné la première esquisse. En 1792, on enterra le monument, pour le soustraire aux iconoclaste5. Mais le gouvernement donna l'ordre de l'envoyer à la fonderie de Metz. On y substitua, sous la Restauration, une statue de Labroise : le Génie de la France, qui dut disparaître en 1831, devant l'image de Stanislas. Le bronze dépare, par sa lourde solennité, notre jolie place.

A l'époque où éclatait la Révolution, un graveur, Hœrpin, nous a laissé une série de petites vues de Nancy,
(1) On a reproduit cette statue (pl. 53) d'après une gravure de Dominique Collin.

animées par un très grand nombre de personnages. L'artiste veut imiter Callot. Quatre de ses estampes ont été reproduites dans l'Album (pl. 4). - L'une réunit quelques-ùns des monuments religieux de notre ville en l'année 1790. Au centre se dresse la Cathédrale avec son portique classique; une procession, qui se déroule dans la rue Saint-Georges, pénètre dans la nef. Sur les bords, douze autres édifices sacrés. Sept subsistent encore de nos jours, mais plus ou moins transformés: Saint-Sébastien, avec sa façade ornée et ses deux maigres tours placées en arrière; Saint-Joseph, ou l'église des Prémontrés, qui a été abandonnée en 1807 aux protestants (les tours ont été depuis dépouillées de leur laide coiffure); la Rotonde, en d'autres termes la Chapelle ronde, où l'on a enterré les ducs lorrains; les Missions royales qui, après l'expulsion des Jésuites, étaient devenues le Grand Séminaire; Bonsecours, l'œuvre un peu théâtrale de Stanislas; la chapelle de la Visitation, qui est englobée dans les bâtiments du Lycée; l;hôpital Saint-Stanislas (1), où le roi de Pologne installa les religieux de la Charité ou de Saint- Jean-de-Dieu, et dont les bâtiments, rue Sainte-Catherine, sont habités aujourd'hui par des particuliers. Mais cinq de ces édifices ont totalement disparu, et nous ne les connaissons plus que par les gravures de Hœrpin. Les religieuses de la Visitation, en prenant possession de l'ancien prieurê des Bénédictins, dans la rue des Ponts, ont démoli, au début de ce siècle, l'ancienne église Saint- Léopold, la plus admirée de la ville; la vue de Hœrpin est prise du monument de la Croix-de-Bourgogne, dont la silhouette apparaît au premier plan avec une netteté parfaite. Déjà, sous la Révolution, avait été abattue au coin des rues Saint-Dizier et Saint-Jean, l'église Saint- Roch, qui, depuis 1732, était devenue le centre d'une paroisse; tel avait été aussi le sort du dôme des Grandes Carmélites, l'une des églises qui justifie le nom donné à l'une de nos voies de: rue des Quatre-Églises; les trois autres étaient celles des Tiercelines, des Annonciades et du Refuge. En 1842, la rue du général Drouot fut percée sur l'emplacement qu'occupait l'église des religieuses du Saint-Sacrement; et récemment la chapelle des Petites Carmélites, dont le plafond était peint par Provençal, a été abattue, et sur ce terrain s'est élevée la succursale de la Banque de France.
- La seconde figure nous dévoile les divers aspects de la grande place de Nancy, l'ancienne place Royale. La planche porte la date de 1796; mais qu'on ne s'y trompe point. Elle a été faite avant la fin de 1792, puisque Louis XV est toujo~rs debout sur son socle. C'est en réalité une reproduction d'une planche

(1) Il ne faut pas le confondre avec l'hospice Saint-Stanislas qui a été installé au début de ce siècle, dans les bâtiments de l'ancien noviciat des jésuites.

de 1789, où Hœrpin nous montrait une procession sur la place. - Les logements militaires de Nancy, qui viennent ensuite, portent la date de 1790. Nous y voyons, à deu~ reprises, les casernes Sainte-Catherine, qu'a construites l'architecte Richard Mique, une fois prises de la rue Sainte-Catherine, la seconde fois du pont de Malzéville.. Dans le haut, le quartier Saint-Jean, élevé par le duc Léopold pour ses gendarmes et qui a servi de caserne à la cavalerie jusqu'à ces dernières années; le pavillon de MM. les Officiers qui formait l'extrémité nord du palais ducal (la vue est prise de la cour) ; enfin le quartier neuf, construit par Stanislas à la place de l'Opéra de Léopold et démoli sous la Restauration: la Gendarmerie actuelle a été bâtie en 1872 sur le même terrain. - La dernière planche nous transporte sur la place de la Carrière, où d~s régiments de cavalerie sont passés en revue. Au premier plan, contre la Bourse, une arcade sépare la promenade de la place des Chameaux (place de Vaudémont); aujourd'hui, une
seconde arcade lui fait pendant du côté de la Pépinière,
là où l'image de Hœrpin nous montre les anciennes prisons. Dans le bas, l'on admire une remarquable vue perspective de Nancy, prise de Tomblaine.

Nous sommes arrivés au XIX- siècle. Les dessins sur Nancy deviennent plus nombreux et la lithographie multiplie les estampes relatives à notre ville. Mais les dessins restent enfouis dans les cartons des collectionneurs et déjà maintenant sont introuvables les plus anciennes lithographies. Aussi a-t-on reproduit dans l'Album des spécimens de l'œuvre d'artistes comme Georges, E. Engel- maml, Labouré, J .-J. Thorelle, Chatelain, Maugendre. Ajoutez le nom de Guesdon, de Nantes, qui dessina, avec beaucoup de netteté, les villes de France, d'Espagne et de Suisse à vol d'oiseau. La planche reproduite ici, et qui nous montre d'une façon très distincte les rues et les monuments de Nancy en 1856, est tirée de son atlas: Voyage aérien en France. Mais ces œuvres ont déjà pour nous, outre leur valeur propre, un intérêt historique. Combien de modifi- cations ont subi nos édifices, depuis le jour où ils ont été dessinés., s'ils n'ont pas été détruits complètement! La porte Saint-Jean a été renyersée en 1874, et il n'en reste que quelques fragments de sculpture, conservés au Musée lorrain. La porte Neuve, ou porteDésilles, a été débarrassée, en 1877, des corps de garde et des galeries qui la flanquaient des deux côtés. Les fossés qui protégeaient la porte extérieure de Notre-Dame ont été comblés, et le pont si pittoresque qui y donnait accès n'existe plus. Qui se souvient encore du
portique néo-grec avec son fronton triangulaire, qui était accolê contre la porte intérieure de Notre-Dame, du côté de la ville, et qu'en 1861 le commandant Trancart a remplacé par une décoration gothique? La fameuse porte Saint-Georges, qui a fait tant parler d'elle de par le monde, se présente à nous avant qu'elle fùt dégagée, avant qu'une percée continuât en ligne directe la grande artère commerçante de la ville. Et voici le vieux Saint-Epvre, pendant longtemps l'unique paroisse de Nancy, l'église mère de toutes les autres. Son intérêt artistique est médiocre, et elle est prisonnière au milieu de maisons privées. Mais déjà, derrière le vieux clocher conservé comme souvenir, s'élève au-dessus du sol la nouvelle église, toute brillante en sa blancheur immaculée. La nef est achevée et les échafaudages dessinent la tour. De ces changements, les uns ont été heureux; ils ont donné à la ville de l'air et de la lumière; l'amateur de pittoresque parlera pourtant avec amertume de certaines démolitions qu'il considèrera, sans doute à juste titre, comme de véritables profanations.

La seconde partie de l'Albu.m - la plus considérable - est consacrée au. Nancy moderne. Elle reproduit, par les procédés fidèles de la phototypie, nos monuments tels qu'ils existent en l'an de grâce 1896, avec les enseignes provisoires ou les affiches qui les couvrent. Les planches publiées attireront sans doute l'attention de nos concitoyens sur quelque maison pittoresque ou sur quelque ornement d'architecture près duquel ils ont souvent passé indifférents. Elles leur donneront la curiosité de regarder autour d'eux, dans leurs courses à travers les rues. Plus tard, - puisque tout se modifie, puisqu'un jour changera la destination de ces édifices, puisque peut-être ils seront démolis par la main de l'homme ou détruits par l'action du temps, - cet Album ressuscitera le Nancy de 1896, le Nancy qui nous abrite et que nous aimons.

Quelques-unes de nos places ou de nos avenues présentent de larges perspectives. D'un seul regard, l'œil parcourt les allées du cours Léopold, la courbe gracieuse de la porte Désilles, la rue de Metz, et se repose sur les coteaux boisés de Maxéville. Ou bien, du point central, il plonge jusqu'à la porte Saint-Nicolas, traversant toute la longueur de la rue Saint-Dizier, cette principale voie de la ville nouvelle que le duc Charles III créa, comme les casiers d'un échiquier, à côté des méandres de la Ville-Vieille. Ou encore il est satisfait de l'harmonieuse ordonnance, de la régularité parfaite des allées plantées de tilleuls, dans la promenade favorite des Nancéiens: la Pépinière. C'est par ces vues d'ensemble, par d'autres encore représentant la place de la Carrière, la place de la Gare, la place du Marché, le jardin botanique, que s'ouvre l'Album du Nancy moderne, et l'artiste a su rendre à merveille ces vastes échappées, toutes remplies de soleil.

àge. Son plus vieux sanctuaire est celui que le duc René II éleva près du palais ducal, pour rendre grâce à Dieu de l'éclatante défaite de Charles-le-Téméraire. Mais cette église, qui dépendait, jusqu'à la Révolution, d'un couvent de Cordeliers, ne saurait passer pour un chef-d'œuvre du style flamboyant; elle mérite pourtant d'être visitée, puisqu'elle renferme avec d'autres monu- ments le chef-d-'œuvre de Ligier Richier, le tombeau admirable de Philippe de Gueldres, et puisqu'elle se trouve flanquée de la Chapelle ronde, le li.eu de sépulture des ducs lorrains. Au XVIIIe siècle, s~r les plans d'un architecte de Nantes, Germain Boffrand, - plans qu'on eut le tort de changér dans la suite, - s'élève l'église Primatiale, devenue Cathédrale, quand, en 1777, fut créé l'Évêché de Nancy, démembré de celui de Toul. De la même époque datent les églises de Saint-Sébastien et de Saint-Pierre, celle-ci devenue chapelle du Grand Séminaire. L'une et l'autre sont l'œuvre de l'architecte Jennesson. Mais de notre temps les églises ont surgi les unes après les autres, grâce à l'infatigable ardeur d'un homme qui a eu le génie de la quête et qu'on a pu nommer justement le plus grand maçon de la chrétienté: c'est l'abbé Trouillet, qui plus tard obtint du Saint-Siège la dignité de protonotaire et le titre de Monseigneur. Sur les plans de l'architecte Morey se dressent les deux églises Saint-Epvre et Saint-Nicolas, un beau pastiche du gothique, un beau pastiche du roman. Pour la première, l'abbé Trouillet dépense - outre le prix du terrain et la subvention fournie par la ville - plusieurs millions; pour la seconde, il don.ne une somme d'environ 40,000 francs. En 1881, il offre son généreux concours pour terminer la nouvelle églis'e Saint-Pierre qu'a commencée, en 1858, sur les plans de l'architecte Vautrin, M. le chanoine Heymès. Enfin il achève, au faubourg de Toul, la nouvelle église succursale consacrée à saint Mansuy. Si l'on so.nge qu'avant son arrivée à Nancy venaient d'être bâtiês l'église de Saint- Georges (1846) et celle des Oblats(1856), que l'église Saint.: Léon, commencée en 1861, était définitivement terminée en 1877, qu'en ce moment même M. Fd Genay poursuit la construction de Saint-Joseph, on peut affirmer que jamais, dans un laps de temps si court, aucune ville ne vit s'élever autant d'églises - et quelques-unes comptent parmi les œuvres de l'art; - dans cette seconde moitié du XIXe siècle, la ville de Nancy, pour reprendre une expression chère au moyen-âge, s'est couverte du blanc manteau des églises.

Aussi nombreuses que les églises sont les statues érigées en ce siècle. En 1850 est seule debout, si l'on néglige le René Il de Lépy, la statue du roi de Pologne Stanislas, dont le doigt tendu montre, sur l'Arc-de- Triomphe, le médaillon de son gendre, Louis XV. Mais, au mois de septembre de cette année, l'on inaugure sur la petite place de Grève la longue silhouette de Mathieu de Dombasle, œuvre laide signée du nom glorieux de David d'Angers. Le 17 juin 1855, inauguration d'une autre statue du même sculpteur; le général Drouot se dresse en bronze sur le Cours Léopold. On remarque'la tête très forte qu'a exécutée un artiste lorrain, Jiorné Viard. Sur le socle, trois bas-reliefs rappellent des épisodes connus de la vie du général. Ici, jeune homme, il est porté en triomphe par ses camarades, après son examen d'entrée à l'École d'artillerie; Laplace a su mettre au jour les qualités heureuses du candidat, pauvre, chétif, encore tout couvert de la poussière de la route qu'il vient de faire il. pied. Là, dans son âge mûr, dans toute la force de son génie et dans tout l'éclat de sa gloire, il s'ouvre à Hanau un passage à travers les Bavarois, hier nos alliés, et qui se sont retournés contre nous après les premiers désastres. Enfin, vieillard, privé presque complètement de l'usage de ses yeux, il soulage les infortunes des pauvres et consacre sa fortune aux œuvres charitables. Puis vingt-deux années se passent sans aucune statue nouvelle. Mais l'on se hâte de réparer le temps perdu. Le 26 juin 1877, sur la place de Vaudémont, contre l'Arc-de-Triomphe, l'on accole la statue de Jacques Callot qu'a modelée le sculp- teur Laurent, et on l'entoure des deux bustes d'Israël Sylvestre et de Saint-Urbain. Le 3 août 1879, en face de la gare, un Comité remet il la municipalité de Nancy l'image en bronze de Thiers, « libérateur du territoire », œuvre de Charles Guilbert, Le 28 juin 1890, l'on applaudit sur la place La Fayette il la statue de Jeanne d'Arc, heureuse réplique faite par Frémiet de sa statue de Paris, à l'extrémité de la rue des Pyramides, et bientôt, le 6 juin 1892, le président Carnot, dans son voyage historique il Nancy, inaugure à la Pépinière le Claude Gellée de Rodin. La triste nouvelle de sa mort empêche seule, en juin 1894, de consacrer solennellement la statue de Héré, par Jacquot, et le buste du héraut d'armes lorrain, Gringore, par Bussières. Entre temps, ce dernier sculpteur nous a donné le monument de notre grand caricaturiste nancéien, J. -J. Grandville. Enfin presque hier - le 28 juin 1896 - en présence de deux ministres est tombé le voile qui cachait le monument de Carnot, dû à un jeune artiste lorrain, M. V. Prouvé; près du médaillon du regretté Président sont debout la Paix et la Force, ou si vous préférez, la France et la Russie. La Force tient de la main gauche un rameau de chêne et s'appuie sur la Paix qui cueille une branche d'olivier. - Si quelques-unes de ces œuvres ont été critiquées, d'autres attestent de sérieux efforts artistiques, la haine du convenu et du banal, la recherche de l'effet simple qui so,uvent a été trouvé.

Tandis que les sculpteurs ornent nos places publiques, le Musée de peinture de l'Hôtel-de- Ville s'enrichit des tableaux des peintres lorrains. A côté de la grande salle qu'encombre la Transfiguration de Rubens, une pièce contient le Christ de Morot. L'artiste a su rendre à la fois l'extrême souffrance et l'extrême béatitude du Sauveur qui meurt pour l'humanité. Et, tout à côté, l'on admire la charmante Idylle de Friant: deux jeunes gens qui se contemplent en silence, appuyés contre la passerelle du Pont-Cassé. Après ces œuvres modernes, l'on visitera au Musée lorrain les œuvres anciennes: la Tapisserie qui raconte la condamnation de Banquet et de Souper et qui, d'après une tradition respectable, aurait orné la tente de Charles le Téméraire, et le lit du duc Antoine tout couvert d'emblêmes et d'armoiries, où se répète sans cesse la devise: j'espère avoir.

En sortant des Musées, le voyageur ne manquera pas de parcourir les rues de la Ville-Vieille, où il admirera les anciens hôtels du XVIe, XVIIe ou XVIIIe siècle. Les planches de l'Album en reproduisent quelques-uns parmi les plus curieux. Nous nous arrêtons à la jolie maison avec sa tourelle en encorbellement, qui marque le coin de la Grande-Rue et de la rue Callot; la tradition, à défaut de documents bien authentiques, veut que le grand graveur lorrain y soit venu au monde ou y ait habité. Plus loin, la curieuse façade de la maison Grande-Rue nO 23, attire nos regards; et l'escalier intérieur avec ses galeries en bois a un aspect fort pittoresque. La demeure appartenait, au XVIIIe siècle, à un membre de la famille de Lignéville, qui, 1'1. la suite du duc François III, alla s'établir à Florence.

Nous jetons en passant un coup d'œil sur la Maison nO 29 dont la cour intérieure renferme une intéressante fontaine; et, franchissant la place Saint-Epvre, nous remarquons, il. gauche, sur la rue Saint-Michel, la maison qu'une vieille enseigne a fait nommer la maison des Deux-Sirènes. C'est l'ancienne demeure du chambellan Bornet, où trouvèrent un refuge, dans la nuit du 31 mars au 1cr avril 1634, le duc Nicolas-François et sa jeune femme Claude de Lorraine, qui, prisonniers des Français en leur propre palais, venaient de tromper la vigilance de leurs gardiens. En face, nous apercevons une seconde tourelle, et au- dessous un boulet en pierre incrusté dans la muraille. C'était là jadis une enseigne. Nos anciens marchands, au lieu d'écrire en gros caractères sur un morceau de bois peint le titr.e de leur maison, le sculptaient bien en vue au-dessus de leur porte d'entrée ou à l'angle de leur boutique. Quelques pas plus loin, nous plongeons dans la rue de Guise, où se trouvait jadis l'hôtel Lunati- Visconti, dont la; charmante façade du début du XVllc siècle, a été sauvée par M. Gouy et transportée en 1842 dans son château de Rénémont, au moment où l'on était sur le point de la démonter pour l'envoyer à Paris. Un peu avant d'arriver à la porte de la Craffe, nous tournons vers l'Ouest dans la rue du Haut-Bourgeois et nous entrons dans l'un des vastes hôtels que Boffrand a construits au début du XVlllc siècle, l'hôtel (no 29) qui s'est tour à tour appelé hôtel Ferrari, de Vioménil, de La Vieuville, et qui appartient aujourd'hui à M. Génin. Dans la cour, un Neptune, couronne en tête et trident à la main, est entouré de deux charmants groupes d'enfants. C'est aussi à Boffrand que l'on doit le célèbre hôtel des Loups. Il en forma les plans pour M. de Curel, louvetier de Lorraine; il fit sculpter sur la porte d'entrée une hure de sanglier autour de laquelle s'enroulent des cors de chasse et il plaça deux loups au-dessus de la porte de la cour. La demeure a été acquise en 1871 par M. Herbin, venu de Metz. A quelques pas plus loin, et de l'autre côté de la rue, l'on voit une porte décorée de faisceaux d'armes et de trophées de guerre. Elle conduit à l'hôtel de Gellenoncourt, où a résidé, pendant quelque temps, l'état-major de la place de Nancy. En face, l'ancien Arsenal qui sert aujourd'hui à la Manutention militaire ne montre plus que les restes délabrés de son antique splendeur. Construit au milieu du XVIe siècle par la régente Christine de Danemarck, il était renommé au début du XVIlc siècle comme l'un des plus beaux et des mieux garnis de l'Europe entière.
En passant par la rue Trouillet devant l'antique de- meure des d'Haussonville, ce chef-d'œuvre de la Renais- sance à Nancy, nous débouchons sur la place Saint-Epvre et des Dames; à l'un des angles, une maison moderne en style Renaissance a été construite par l'abbé Trouillet pour lui servir de presbytère. Elle s'est élevée sur l'empla- cement d'un ancien hôtel Bassompierre et l'on a gravé sur la porte d'entrée les armoiries de la famille. Mais, en réalité, l'hôtel où habitait l'auteur des Mémoires lors de ses séjours à Nancy se trouvait rue Neuve, aujourd'hui place de la Carrière, nO 27. A quelques pas plus loin, dans la rue Lafayette, l'on remarque un ancien hôtel qui tour à tour a appartenu aux familles d'Haussonville, d'Euvezin et de Ludres et que l'on connaît généralement sous le nom d'Hôtel de Ludres. Au début de ce siècle l'on a placé sur la pQrte d'entrée deux lions, ~ûs au sculpteur Lépy. En face, de l'autre côté de la rue de la Monnaie, se trouvait l'ancien hôtel de Vioménil, qui a été acquis par la ville, et démoli au début de ce siècle; sur son emplacement a été créée la place Lafayette et percée la rue d'Amerval. De la place des Dames, la rue de la Charité nous conduit à la maison (no 18) où sont établies les Sœurs de Saint- Vincent-de-Paul. Elles y ont été installées au début du XVIIIe siécle, pour administrer la Charité de la paroisse Saint-Epvre. Quelque temps avant la Révolution, elles ont annexé la maison voisine à droite, l'ancienne maison des Étuves, devenue hôtel de Lenoncourt, et elles l'ont convertie en filature de coton. En l'année 1828, elles ont acquis, sur la rue de la Source, l'ancien hôtel Lillebonne, habité jadis par une famille cadette de Lorraine. On admire dans cette demeure un magnifique escalier Renaissance, couvert de charmantes moulures. Ne manquons pas de jeter un peu plus loin un coup d'œil sur le vieil hôtel d'Olonne qui a appartenu à l'historien Lionnois. En face (no 10), se trouve l'hôtel du marquis de Ville où une curieuse fontaine sculptée mérite une visite. -
Les maisons de la Ville-Neuve sont beaucoup plus monotones. Elles sont trop construites sur un modèle uniforme, comme la ville elle-même. Quatre d'entre elles font exception. Deux dans la rue des Dominicains, la charmante maison des sculpteurs Adam avec ses fins bas-reliefs, et la maison René Wiener, qui a abrité, à la fin du XVIIIe siècle, l'un des plus anciens cafés de Nancy, le café de Strasbourg. Derrière la Cathédrale, une maison en briques très vaste a été élevée pour le grand doyen du chapitre, et sa façade a été ornée d'un buste de Henri Il, récemment transporté au Musée lorrain (1). La demeure se distingue par ses dimensions des maisons voisines, réservées en ce quartier, à l'ombre de l'église, aux chanoines. Enfin, dans la rue Saint-Dizier (no 22), une belle maison, élevée à la fin du XVIIIe siècle sur l'emplacement de la sacristie Saint-Roch, a été décorée de jolis médaillons, dus à notre sculpteur nancéien, Claude Michel, plus connu 'sous le nom de Clodion. On a donné dans le premier album la représen-
(1) Il a été remplacé sur la façade de la maison par une copie model'De due à M. Bussières.

tation de la maison des Adam; on reproduit ici les trois autres. L'hôtel de M. Tourtel, asile provisoire du préfet, et la maison Quillard représenteront dans la collection les somptueuses maisons modernes.

En cette année 1896, un grand événement a marqué l'histoire de notre ville, la création de l'Université de Nancy. L'auteur de l'Album a voulu le célébrer en une série de planches. Il nous transporte à l'Académie, chef-lieu des établissements universitaires, dans les salles du Musée d'histoire naturelle, à l'amphithéâtre de la Faculté des Lettres dont l'hémicycle est recouvert de la toile de Monchablon : Les grands Lor~ains. Il nous entr'ouvre les portes des Instituts récemment créés comme autant de provinces séparées, et dont l'installation répond à toutes les exigences de la science et des savants: Institut chimique, Institut anatomique, puis Institut sérothérapique, ce dernier placé seulement sous le patronage de la Faculté de Médecine. A cette Faculté se rattache aussi le nouvel Hôpital civil dont elle assure le service. Nos trois Instituts, élevés en un laps de temps assez petit, sont dus à l'architecte de la ville, M. Jasson, qui a achevé aussi l'hôpital et dont le nom ne saurait, sans injustice, être passé sous silence. L'École forestière, créée le 1er décembre 1824, placée en 1826 dans l'hôtel des Mique, est une autre gloire scientifique de Nancy, et nous espérons bien que Paris ne nous l'enlèvera point.

au bassin Saint-Georges, ou sur ceux de la Meurthe, au bruit de la nappe d'eau qui, en tombant, fait tourner les Grands-Moulins; ou bien encore du haut du pont de Malzéville qui a perdu, depuis les derniers travaux, son aspect pittoresque, vous vous plairez à contempler les coteaux qui bordent la rivière. Notre expédition s'achève ici; mais, si vous êtes indulgents pour vos guides, si cet Album trouve auprès de vous la même faveur que le précédent, nous vous inviterons l'année prochaine à une nouvelle course à travers le passé de notre cité. Avec les estampes de Callot, de Deruet et d'Israël Sylvestre, nous ressusciterons les monuments de Nancy, aujourd'hui dis- parus. Avec les anciens plans, nous vous indiquerons les progrès faits par la ville d'étape en étape, du début du XVIIe siècle à nos jours. Ce sera par l'image une histoire complète de Nancy depuis la création de la Ville-Neuve sous Charles III, jusqu'aux embellissements du règne de Stanislas, jusqu'au magnifique développement auquel nous assistons. Sur un fond, en général sombre - car grands ont été les malheurs causés à la ville par la guerre, les épidémies ou les occupations étrangères - se détachent en pleine lumière ces trois glorieuses périodes.

CH. PFISTER.

Professeur à l'Université de Nancy.

Table des planches
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